L’Oiseau vert de Goldoni

 

Crédit photo : Polo Garat Odessa

Compte-rendu de la conférence-débat du 22 mars 2015 autour de L’Oiseau Vert de Goldoni mis en scène par Laurent Pelly

Au cours des mois de février et mars 2015, le Théâtre National de Toulouse a joué L’Oiseau vert, une pièce écrite en 1765 par le vénitien Carlo Gozzi qui s’inscrit dans la tradition de la commedia dell’arte. Cette pièce a été traduite par Agathe Mélinand, et mise en scène par Laurent Pelly, co-directeurs du théâtre. A l’issue de ces nombreuses représentations, ils ont décidé d’organiser une conférence autour de la pièce en invitant pour cela le maître de conférence Cécile Berger, spécialiste du théâtre italien qui a participé à la traduction des Mémoires inutiles de Carlo Gozzi. Lors de cette conférence, les trois intervenants ont glissé du général au particulier en évoquant le fonctionnement du théâtre vénitien, puis en se centrant sur le théâtre de Gozzi avant d’expliquer leur démarche de travail autour de la création de L’Oiseau vert au TNT.

Cécile Berger a d’abord tenu à rappeler le contexte théâtral vénitien du XVIIIe siècle. L’univers dramatique est une donnée importante de la vie culturelle vénitienne : c’est un art ouvert à un large public et très apprécié. Cela se traduit dans la représentation même des pièces par une forte interaction avec les spectateurs, par exemple en faisant référence à des réalités contemporaines. En 1762, on raconte qu’Antonio Sacchi, chef de troupe par lequel Mme Berger nous a donné à comprendre la réalité du théâtre vénitien, s’est mis à imiter les gazettieri, ceux qui, à la sortie des théâtres, vendaient un compte-rendu des pièces. Mais on peut aussi amuser le public en attaquant plus ou moins directement quelque personnage public… ou tout simplement ses concurrents.

Le théâtre à Venise est en effet fortement concurrentiel : quatre scènes s’affrontent dans la ville, d’où la nécessité de présenter sans cesse de nouvelles pièces et de laisser chaque spectacle à peine quelques soirs à l’affiche. Ainsi, les auteurs vénitiens, parfois liés aux différents théâtres par des contrats d’écriture, sont très prolifiques, et l’on compte pour chacun plus d’une centaine de pièces. Cependant, une pièce est loin d’être aussi rigoureusement écrite qu’il peut y paraître: il s’agit le plus souvent de canevas, simples indications par lesquelles on rapporte quel personnage (ce sont toujours des personnages-types) rentre sur scène et ce qu’il fait, sans s’embarrasser à écrire des répliques fixes.

Ainsi, laisse-t-on la part belle à l’improvisation, qui peut interrompre l’action pendant cinq, dix minutes voire trois quart d’heure comme Agathe Mélinand l’a précisé. Les acteurs ont donc un rôle primordial, et ne sont pas les simples interprètes d’un texte pré-écrit: ils en sont les recréateurs permanents et s’adaptent à un public assez distrait dont il s’agit de capter l’attention.

Par ailleurs les comédiens, ou plus généralement les troupes, font vivre le théâtre hors de la scène. D’une part, par-delà la scène vénitienne, ils participent à la renommée internationale avec leurs tournées en Europe durant l’été, voire en s’installant parmi une cour étrangère. Antonio Sacchi a débuté sa carrière à la cour de Saint-Pétersbourg et n’a cessé de voyager en Europe après son installation à Venise. D’autre part, hors les planches, ils sont ceux qui gèrent les théâtres: Sacchi a dirigé le théâtre San Samuele et a connu la nécessité de payer les infrastructures, les acteurs… et n’a pas hésité à faire appel, en 1761, à un certain Carlo Gozzi pour qu’il écrive des pièces pour son théâtre.

Carlo Gozzi (1720-1806) se met au travail pour lui offrir une première pièce, L’amour des trois oranges qui est représentée sept soirs consécutifs, un succès dans le contexte de profusion théâtrale vénitien. Ce n’est cependant qu’un avant-goût de la réussite de L’Oiseau vert qui reste dix-neuf soirs à l’affiche lorsqu’elle est créée en 1765. Toutefois, Gozzi ne semble pas attacher une grande importance à ses pièces qu’il appelle des « bagatelles » et sur lesquelles il ne s’attarde pas dans ses Mémoires inutiles (1797-1798), se contentant de signaler leur création pour mieux s’appesantir sur ses problèmes personnels, ce qui fait dire à Mme Mélinand que Gozzi était un « monsieur ennuyeux », au caractère bien éloigné du comique de ses pièces.

Aussi, ne connaissons-nous pas très bien ses sources d’inspiration et l’on peut seulement affirmer que son théâtre s’inscrit pleinement dans la tradition de la commedia dell’arte, ce théâtre d’improvisation qui met en avant un univers de rêve et d’imagination pour rejeter le réalisme et la raison. On sait que Carlo Gozzi méprisait le « théâtre des cuisines », c’est-à-dire celui qui met en scène la trivialité du monde. Il a alors inséré dans plusieurs de ses pièces des références moqueuses à ce genre de théâtre, cela se traduit dans L’Oiseau vert par le personnage de Ninetta qui vit emprisonné sous un évier… La dimension satirique du théâtre Gozzi est également importante, il dit dans ses mémoires qu’il « ri[t] de tout ». Il raille volontiers ses concurrents, comme le dramaturge Goldoni que l’on considère comme son principal rival, ce qui lui permet de rencontrer un certain succès. Les intervenants nous ont toutefois fait remarquer que la rivalité entre les deux dramaturges était plutôt une sorte d’émulation issue d’une admiration réciproque; leur théâtre se faisait écho tandis qu’ils cherchaient à dépasser leurs créations précédentes pour ne pas lasser leur public, tout en restant dans une certaine mesure.

Gozzi, en effet, avait une conception plutôt conservatrice du théâtre: il prônait l’éveil des sens et l’émerveillement, s’inspirant pour cela des contes napolitains ainsi que de légendes orientales, tandis qu’il dénigrait la raison. L’entrée de la philosophie dans ses fables et notamment dans L’Oiseau vert est une expérimentation faite par le dramaturge pour renouveler un peu son théâtre (c’est son avant dernière pièce, sa production théâtrale est donc déjà longue), mais il traite le sujet de manière très critique, il se pose en réactionnaire face à la philosophie des Lumières. Ainsi pour Gozzi le théâtre ne doit pas être sérieux… le dramaturge ne s’interdit pas pour autant de longs discours emprunts de morale chrétienne. C’est un paradoxe révélateur de sa manière de voir le théâtre : un art du mélange des registres qui va du comique de la farce à la poésie, une esthétique de la rupture dans l’action, ce qui crée un rythme saccadé et pose un réel défi d’interprétation et de mise en scène.

L’attrait que Laurent Pelly a pour Gozzi s’explique par l’hybridation des styles et des registres, et par la grande liberté de ton qui est propre à la commedia dell’arte. À partir du texte de l’édition de 1772 (donc sept ans après la création de la pièce), Agathe Mélinand a traduit entièrement la pièce en français. Des traductions partielles, qui étaient plus ou moins des adaptations, avaient été réalisées auparavant. On pense par exemple à celle de Benno Besson qui avait transformé « l’amour propre » en « psychanalyse » pour se conformer aux préoccupations de son temps. Or ici, il s’agissait de rester fidèle à Gozzi, de l’inscrire dans la modernité. C’est pour cela que le texte a dû subir des tailles pour écourter les monologues interminables de Calmon, et celui du poète à l’ouverture. C’est pourquoi la traductrice s’est permis de mettre en valeur certains aspects du texte, au détriment d’autres. Si les lazzi et les canevas d’improvisation ont été figés à l’écrit comme l’exige le théâtre français, Laurent Pelly a maintenu le lien fort avec le public, comme lorsque les comédiens jouent une scène de face à face tournés vers la salle.

Le metteur en scène, Laurent Pelly souhaitait moderniser la pièce bien qu’il se soit inspiré du Traité de scénographie de Nicola Sabbatini du XVIIème dans lequel est détaillée la fabrication de machines et de plans. Il n’a pas voulu masquer les comédiens comme dans la tradition. Il a utilisé des techniques et des inspirations contemporaines. Les statues, par exemple, sont figurées par des toiles en lin, derrière lesquelles se cachent des comédiens que révèle parfois l’éclairage. Pour le personnage de Tartagliona, ses cannes noueuses sont inspirées de l’œuvre tortueuse de la plasticienne Louise Bourgeois. Par ailleurs, un dynamisme est créé par la présence constante des comédiens sur les bords du plateau.

Laurent Pelly a ajouté une touche de rêverie. En effet, la grande vague qui constitue le plateau est pour lui la page blanche sur laquelle s’écrit la « route du rêve ». Alors qu’il aurait pu être tenté d’exploiter tous les aspects magiques, féeriques des décors, il a préféré suggérer plutôt que de tout représenter. La grotte dangereuse, qui abrite l’eau qui danse, est seulement figurée par une porte immense. Il imaginait une scène qui puisse être un décor protéiforme, et ce qui est rendu possible par les couleurs et les éclairages changeants. Ce sol courbé incarne tantôt une colline, tantôt une vague sur laquelle glisse Truffaldino (qui rappelle le burlesque de la commedia dell’arte), tantôt une coulisse pour un tour de magie, tantôt le couvercle d’un évier.

C. Charlois

M. Picquette

Ondine Marin

29 avril 2015

 

 

 

 

 

 

Un commentaire sur “L’Oiseau vert de Goldoni

Ajouter un commentaire

Laisser un commentaire

Site Web créé avec WordPress.com.

Retour en haut ↑